Le 30 avril, je reçus l'ordre d'embarquer sur la Belle Poule, commandée par le Prince de Joinville. Je me rendis à Cherbourg, où je trouvai mon bateau, provisoirement sous les ordres du Capitaine de Corvette Charner.
Le Prince de Joinville en prévision d'évènements qui ne se produisirent pas, était parti au Levant, pour aller dans l'Etat Major de l'Amiral Lalande, commandant l'escadre, et nous avions l'ordre de presser l'armement de la Belle Poule, et de nous rendre auprès du Prince.
La Belle Poule était une frégate neuve... quelque diligence que l'on fit pour hâter l'armement, ce ne fut que le 1 août que nous fûmes en situation d'appareiller.
Un mois après nous étions au mouillage à Bésika Bacé, près de l'entrée des Dardanelles, au milieu de l'Escadre.
Le lendemain le Prince de Joinville arrivait à bord pour nous commander.
Le 14 octobre, la Belle Poule quittait l'Amiral Lalande pour se rendre à Constantinople. Séjour de deux mois, et fin novembre nous quittions le Levant pour rallier Toulon.
En arrivant, le Prince partit pour Paris... et ce ne fut qu'en avril, que nous apprimes que nous devions aller à Sainte Hélène pour en rapporter les cendres de l'Empereur.
Monsieur Hernoux ne devait pas faire campagne... Quelle devait être ma position auprès du Prince ?...
Dans notre voyage à Constantinople, j'avais fait le service d'Aide de Camp, il semblait naturel que ce poste fut confirmé. Hélas ! Je m'étais trop haté de concevoir cette espérance !
Dans les premiers jours d'avril, le Duc d'Orléans vint à bord de la Belle Poule. Nous le reçûmes au poste de combat.
La Compagnie de débarquement était à babord, et je la commandais.
L'inspection passée, le Prince demanda à voir les officiers... Losque le Commandant les eut présentés... "Mais, je n'ai pas entendu nommer M. Fabre de la Maurelle, dit son Altesse.
"Monseigneur, il est à la tête de la compagnie sous les armes." répondit M. Charner.
Le Duc vint aussitôt à moi...
"Je suis heureux, me dit-il, de l'occasion qui m'est offerte de vous remercier de l'affection que vous portez à mon frère.
Joinville, lorsque j'ai quitté Paris, m'a bien recommandé de ne l'oublier auprès de vous."
Je m'inclinai en remerciant.
"Te voilà content, me dit un camarade, ton affaire est sûre.
"J'en doute plus que jamais, répondis-je c'est trop beau, je suis l'homme des pressentiments, et je m'attends à une déception..."
En effet, le lendemain, je reçus la lettre ci-jointe :
Tuileries 7 avril 1840
Mon Cher Fabre
Il y a longtemps que je voulais vous écrire un mot pour vous remercier de vos lettres, qui me font toujours plaisir, et vous prier de donner des détails sur le séjour de mon frère à Toulon... sur sa visite à bord de la Belle Poule... et aussi me tenir au courant de toutes les nouvelles d'Afrique pendant que mes frères y seront.
Je voulais aussi être le premier, à vous dire une chose, qui vous fera peut-être de la peine...
Hernoux ne devant plus naviguer avec moi, j'ai du faire choix d'un officier pour m'être attaché temporairement.
J'ai pris M. Touchard. Maintenant, ne croyez pas pour cela, que les rapports soient changés entre nous. Ils resteront les mêmes, et je vous garderai dans mon estime, et dans mon amitié, la même place que vous y avez eue jusqu'à présent.
Nous continuerons de naviguer ensemble, et toutes choses seront comme par le passé. Je me suis décidé à prendre M. Touchard pour éviter les cancans que l'on n'aurait pas manqué de faire si je vous avais attaché à ma personne... Nous sommes jeunes tous les deux, nous nous connaissons de longue date, et nous avons ensemble un franc parler qui nous aurait nui à l'un et à l'autre. Bien des gens auraient vu là une association dont j'évite les apparences, en prenant une personne qui m'est étrabnère, et que je ne connais que sur sa bonne réputation.
Voilà, Mon cher Fabre, tout ce que je voulais vous dire... Ne vous attristez pas trop, pensez que j'ai fait cela que pour notre bien à tous deux, et nous resterons toujours comme par le passé, les meilleurs amis du monde, et les mêmes joyeux compagnons.Tout à vous
F. D'Orléans